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Yorgos Arvanitis, écrivant avec la lumière

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Soumis par iNFO-GRECE le
40 ans au service du cinéma
Georges Arvanitis

Je voyais un homme qui était éclairé en contre jour et je me demandais à quoi il pouvait bien penser. Et j'imaginais comment je pouvais l'éclairer…

Le brouillard de la Grèce du Nord, la brume matinale de l'Egée, sont les images de cette autre Grèce qui vous a surpris dans une salle noire, alors que vous êtiez venus savourer la splendeur de la Grande bleu ? Derrière ces ambiances qui font l'âme des films d'Angelopoulos, toujours le même homme. Un homme qui, adolescent déjà, au coucher d'un soleil, a enfermé dans son cœur la lumière de cette Grèce de l'intérieur, et qui la fait rejaillir chaque fois qu'il dispose d'une caméra pour la capter. Nous avons nommé Yorgos Arvanitis, directeur de la photographie et au service du cinéma depuis quarante ans.

Installé en France depuis 1989, en quarante ans de carrière, il a signé les images de près d'une centaine de films. Avec Théo Angelopoulos, bien sûr, mais aussi Pantelis Voulgaris, Michel Cacogiannis, Nikos Panagiotopoulos, pour la nouvelle génération.

Manos Katrakis et Dora Volanaki dans Voyage à Cythère

Manos Katrakis et Dora Volanaki dans Voyage à Cythère, de Théo Angelopoulos

Il s'était fait les armes dans les studios de Finos à Athènes, dans les films de Dalianidis et de Dimopoulos, au travail à la chaîne mais aussi avec quelques perles du cinéma classique grec. Il a éclairé Veggos dans Ti ekanes ston polemo Thanassi de Dinos Katsouridis en 1966, mais aussi Marcello Mastroianni dans l'Apiculteur d'Angelopoulos, en 1986, Melina Mercouri dans Cri de femmes, Irène Papas dans Iphigénie, Bruno Ganz dans Eternité et un jour, Jeanne Moreau dans Le pas suspendu de la cigogne et Fanny Ardant et Jeremy Irons dans Australia, Leonardo Di Caprio dans Total Eclipse, Richard Boranger dans Beirut, Béatrice Dalle dans Process. Un regard critique, une véritable mémoire du cinéma grec et… français, qu'il parcourt sans complaisance pour les réalisateurs, jeunes ou anciens, en notre compagnie et en exclusivité pour les lecteurs d'iNFO-GRECE. Rencontre à quelques jours du festival de Cannes, édition 2004, dans le jardin de la famille Arvanitis, dans la banlieue Ouest de Paris.

Vous ne serez pas à Cannes cette année ?
Si, si, j'irai. Mais pas pour présenter un film. Ce sont des obligations professionnelles, je suis officiellement invité par Fudji, avec Agnès Godard… Il y a le film de Pantelis Voulgaris Brides, pour lequel j'ai travaillé, mais je crois qu'il n'a pas été sélectionné. Il le sera probablement à Venise.

Fanny Ardant et Jeremy Irons dans Australia

Fanny Ardant et Jeremy Irons dans Australia, un film franco-belge de Jean-Jacques Andrien (1989).

Vous avez quitté la Grèce en 1989…
Oui, je suis parti en 1989. A un certain moment j'ai compris que le cinéma grec n'avait plus besoin de moi. Et moi-même je ne faisais plus des choses qui m'intéressaient. Je ne pouvais pas travailler à la télé. Pour moi, la télé était synonyme de publicité et ça ne m'allait pas. Il s'est produite alors une chose : en 1987, j'ai tourné un film franco-belge avec Jeremy Irons et Fanny Ardant. Ce film a eu le prix de la Photographie à Venise. A cette occasion, j'ai réalisé que certaines personnes en France connaissaient mon travail. Puis, à cette époque, n'ayant pas de bonnes opportunités en Grèce, j'ai décidé de tenter ma chance en France. J'ai eu de la chance, peu de temps après mon arrivée, j'ai signé mon premier contrat !

Brides de Pantelis Voulgaris

Quels sont les films sur lesquels vous avez travaillé depuis ?
Avec les réalisateurs grecs, cette année j'ai fait Brides et, en 2002, le Je suis lasse de tuer des amants de Panagiotopoulos. C'est tout ce que j'ai fait depuis mon installation en France, hormis les films de Angélopoulos. Sinon, j'ai beaucoup travaillé avec des réalisateurs français ou étrangers, Tomas Clay, Yasmine Kassari, C.s. Leigh, Amos Gitai, Nadine Trintignant, Marco Fererri…

Et pourtant, vous est identifié comme le directeur de la Photographie d'Angelopoulos
C'est vrai que j'ai travaillé sur la plupart de ses films, mais j'ai fait d'autres choses, tout aussi intéressantes, et pour quelque raison, que je n'arrive pas à saisir, dans l'esprit des gens ici je demeure l'opérateur d'Angelopoulos et de Catherine Breillat.

Anaïs Reboux, Roxane Mesquida dans A ma soeur de C. Breillat

De Catherine Breillat ?
J'ai fait deux films avec elle. Je la connaissais à peine. Mais, elle m'a donné une liberté absolue dans le premier film que nous avons tourné ensemble, Romance X, qui a connu un succès mondial. Par la suite, nous avons fait A ma sœur, ainsi qu'une toute petite partie - un tournage de six jours seulement - de son dernier film.

Thessalonique dans Paysage dans le brouillard, de Théo Angelopoulos

Quand avez-vous commencé votre collaboration avec Angelopoulos ?
En 1969, quand nous avons tourné La Reconstitution. Mais un an auparavant nous avions fait un court métrage, L'Emission. En 1970-71 Jours de '36, en 1973-74 La Troupe, et ont suivi Les Chasseurs, Le Voyage à Cythère, Paysage au Brouillard, etc. Ma collaboration avec Théo Angelopoulos a été une étape très importante.

Est-ce qu'aujourd'hui vous êtes sollicité par les jeunes réalisateurs grecs ?
Pas vraiment, mais je l'aurai souhaité.

Ils ont peur de vous ?
Je ne crois pas. Peut-être croient-ils que je refuserai. Personnellement, j'adore travailler avec des jeunes. Parce qu'on ne sait jamais ce qui va suivre, quel sera le résultat.

Comment voyez-vous, en général, le jeune cinéma grec ? La relève ne semble pas évidente…
A partir du moment où le cinéma grec, qu'il soit jeune ou non, n'essaie pas de se rendre exportable, il ne pourra pas avancer. Nous restons enfermés dans un système d'où il est très difficile d'en sortir. Nous avons peur de nous battre dans la grande arène du cinéma international. J'ai l'impression que nous ne nous sommes pas préoccupés de ce que nous pourrions proposer à l'Europe et au monde entier. Quel type de sujets.

Bruno Ganz et Isabelle Renauld dans Eternité et un jour de Théo Angelopoulos (1998)

Vous voulez parler des thèmes abordés…
Oui. Je veux dire, il y a des choses qui peuvent passer et d'autres pas. Que le public ne comprend pas. Et dont personne ne s'est préoccupé. On ne travaille pas sur le scénario. D'autre part, je constate un certain manque de curiosité. Le but de chaque jeune réalisateur est d'aller jusqu'au festival de Thessaloniki. Et ça lui suffit largement. Le fait est que, le jeune cinéma grec n'a pas réussi à créer une nouvelle écriture, à faire une proposition.

Cela dit, il y quand même des jeunes metteurs en scène avec du talent. Je faisais dernièrement partie de la Commission du Festival de Drama, j'y ai vu certains courts métrages et je me suis dit : ces jeunes iront loin, s'ils sont aidés. J'ai vu également une bonne direction d'acteurs, eux-mêmes fabuleux. J'ai vu une nouvelle écriture cinématographique. J'ai vu. J'ai vu… Mais j'ai vu tout ça dans des courts métrages. Quand on va vers les longs métrages, quelque chose ne va plus.

A votre avis, comment la situation pourrait-elle s'améliorer ?
Des écoles. Il y en a quelques-unes, mais mis à part quelques initiatives, elles sont… inénarrables. Il est par exemple question de créer l'Académie du Cinéma, qui fera partie de l'Ecole des Beaux Arts de l'Université de Thessaloniki. Mais on n'y enseignera que de la théorie. Or, le cinéma s'apprend en travaillant. Au National Film School, en Angleterre, au cours de la première année, on donne aux étudiants une caméra. Et ils tournent. Après avoir développé, on se base sur ce qu'ils ont tourné pour enseigner la théorie. Il ne s'agit pas ici simplement d'une théorie que nous avons transformée en action. Pour bien remplir l'écran, il faut beaucoup d'enseignement, mais également beaucoup de travail.

Croyez-vous qu'il y a un style grec au cinéma ? Celui de Théo Angelopoulos ou celui de Pantélis Voulgaris par exemple ?
Les films d'Angelopoulos n'ont pas un style grec. Ils ont un style personnel. Angelopoulos fait un cinéma purement personnel. Mais, au bout de dix films, sur le plan esthétique, j'ai peur que nous nous répétions. Quand il faut photographier une montagne, une fois par beau temps, une autre par mauvais, une troisième enneigée...

Le regard d'Ulysse, de Théo Angelopoulos (1995)

Et cela, c'est très contraignant pour vous…
Je n'aime pas la répétition. Il faut toujours chercher de nouveaux moyens, d'autres chemins. D'un côté, pour un photographe c'est toujours bien de travailler avec Angelopoulos, parce qu'il a le luxe d'attendre la bonne lumière. Tandis que, dans une production normale, il doit tourner, il ne peut pas attendre.

Vous avez aussi travaillé avec Cacogiannis ?
Oui. J'ai fait Iphigénie avec lui. Un film classique.

Est-ce qu'il y a des films, dans le cinéma grec ou pas, qui vous ont marqué ?
J'aime quand les réalisateurs se cherchent, prennent des risques. J'ai trouvé les films Américan Beauty et Les chemins de la Perdition bouleversants. Ce sont des films du même réalisateur (Sam Mendes) et du même opérateur (Conrad Hall). Mais c'est insoupçonnable. Ce sont deux œuvres complètement différents. Je dis toujours qu'une belle photographie est une photographie qui sert et aide le sujet du film. Ce n'est pas une photographie forcement belle sur le plan technique.

Charlotte Rampling et Stellan Starsgård dans Signs and Wonders de Jonathan Nossiter

Charlotte Rampling et Stellan Starsgård dans Signs and Wonders, film de Jonathan Nossiter.

Vous avez travaillé avec des réalisateurs complètement différents les uns des autres. Quel est votre critère de choix ? Est-ce qu'il y a un fil secret qui lie vos choix : le scénario, le réalisateur, le lieu du tournage ?
Ce qui me séduit tout d'abord c'est le scénario. C'est la chose la plus importante.

Et avec Pantélis Voulgaris, comment a été votre collaboration ?
Excellente. Nous avions déjà travaillé ensemble dans le passé. Nous avions tourné Les années de pierre et aussi une partie de la Grande Chanson d'amour.

Brides (2003), le dernier film de Voulgaris est produit par Martin Scorcese

Quelles sont ses exigences concernant l'image ? Au niveau du cadre, de la lumière… ?
Il demande beaucoup et à tout niveau. Pantelis a une grande qualité. Il aime discuter et s'il demande des choses spécifiques, bien précises, il reste ouvert aux propositions.

Avez-vous déjà été tenté de partir travailler de l'autre côte de l'Atlantique ?
Il y a dix ans, j'ai eu un prix à Chicago, Juste après, un agent américain m'a proposé d'aller travailler aux Etats-Unis. J'étais prêt à partir, j'avais même les billets en poche. Puis, j'ai pensé que ce serait impossible de travailler tout de suite avec Coppola ou Scorcese. Qu'est-ce que j'aurais fait au début ? Des films avec des explosions, des armes à feu… Ca ne m'intéressait pas. Alors, je ne suis pas parti. J'aurais certainement gagné beaucoup d'argent. Et alors ?

Mais vous étiez déjà quelqu'un de connu, avec une longue expérience.
Un proverbe grec dit : il vaut mieux être le premier au village que le dernier à la ville. Et puis, si à l'époque j'avais eu 20-25 ans, peut-être aurais-je réagi autrement.

Aujourd'hui vous cumulez 40 ans d'expérience… Quel a été votre début ?
En 1958, j'étais électricien dans le bâtiment – installateur, etc. Je connaissais un électricien qui travaillait dans le cinéma et je lui ai demandé si je pouvais faire pareil. Il était d'accord et ainsi, je suis allé au Centre de Janni Aliféri. Le premier film pour lequel j'ai travaillé était O Tsakitzis, avec Barkoulis. Je lavais le parquet, je m'occupais des fils électriques. Peu à peu je suis devenu électricien de plateau, puis assistant opérateur. Au bout de quelques années, mon travail était reconnu et apprecié par le milieu. Un jour Finos m'a contacté. Nicos Kavoukidis, un de mes amis opérateurs, m'a certainement recommandé auprès de lui. A l'époque, travailler dans Finos Films était le rêve de tout technicien. Au cours de notre première rencontre il m'a proposé d'être l'opérateur de son prochain film. J'ai accepté. Et voilà, tout commençait…

Et le premier film que vous avez assumé entièrement ?
C'était une comédie cinémascope en couleur. Un musical avec Costas Voutsas, Martha Karagianni et Sapoutzaki, Le prince va nu-pieds. Par la suite, j'ai fait Les perles blues. J'ai essayé d'apporter un peu de nouveau, j'ai changé l'éclairage direct, ça a été remarqué et les choses ont suivi leur cours. A ce moment-là Angelopoulos s'est trouvé sur mon chemin.

Vous quittez, alors, Finos Films…
J'ai pris un congé non payé pour tourner avec Angelopoulos La reconstitution. Puis, je suis parti de Finos Films parce qu'entre temps mon esthétique avait changé. Avec La reconstitution, j'ai eu le premier prix au festival de Thessaloniki, et j'ai enchaîné avec Jours du '36, toujours avec Angelopoulos. J'ai de nouveau demandé un congé non payé d'un mois, et me suis rendu en Crète pour le tournage. Quand je suis revenu à Athènes, j'ai repris mon travail dans Finos Films, tout en continuant à tourner pour Angelopoulos. A l'époque, chez Finos Films nous travaillions de 8h à 15h. Alors, les tournages pour le film d'Angelopoulos avaient lieu de 16h jusqu'à minuit. J'étais très motivé, les gens disaient à l'époque que c'était un film avant-gardiste. Le film de Finos Films était, lui, une comédie avec Réna Vlachopoulou. Le premier jour du tournage, je suis entré dans les décors verts, jaunes et bleus, et ça a été le choc ! Toute la journée, je ne suis pas parvenu à'éclairer un seul plan ! Et c'est à ce moment-là que j'ai compris la définition de la photographie : "J'écris avec la lumière". Je suis alors allé voir Finos et je lui ai dit que je ne pouvais pas rester. Il m'a répondu que j'allais galérer dans le cinéma indépendant. Mais ça ne me dérangeait pas. Je ne pouvais pas continuer. J'avais mal à l'estomac. J'avais l'impression de ne rien savoir. Et je suis parti.

Georges Arvanitis avec Pantelis Voulgaris et Victoria Charalambidou sur le tournage de "Brides"

Quel était le problème ? Travailler dans les studios au lieu du plein air ?
Non. C'était le type de travail. La plupart des films de Finos Films étaient réalisés de façon expéditive. Il fallait que le film sorte coûte que coûte. Découpage classique, etc. En travaillant avec Angelopoulos, ainsi qu'avec Voulgaris, dans un court métrage, j'ai découvert autre chose… Il s'agissait d'un groupe de personnes qui cherchait. La Nouvelle Vague du cinéma grec. Récemment, pendant le tournage des Brides, j'ai traversé avec Voulgaris la place Karaïskakis, pour aller vers les quartiers pauvres d'Athènes. Nous étions émus au souvenir de l'époque où nous allions chercher des coins intéressants pour tourner. Pour nous, c'était comme une fête. Le plaisir de découvrir des lieux. La poésie. Peu à peu d'autres gens ont adhéré à cette vague, ont été influencés. Mais la dictature est arrivée et a tout cassé. Et quand elle a pris fin, on est tombés dans la sémiologie. Le signifié du signifiant, l'abstraction, etc. Les films qui ont suivi ont été des films personnels. Chacun faisait de son problème personnel un film. Et ça ne m'intéressait absolument pas !

Affiche de «Années de pierre», de Pantelis Voulgaris (1985)

Vous dites que la dictature a tout cassé. Mais les meilleurs films ont été tournés durant cette période.
Je ne parlais pas de moi. Personnellement j'ai eu beaucoup de chance, vu que j'ai tourné La réconstitution, Jours du ' 36, Les Chasseurs, Le voyage des comédiens, en pleine dictature. Je parlais du cinéma grec en général. Il a été cassé. Puis, l'arrivée de la télé a tout nivelé. La politique des studios, aussi, porte une grande responsabilité. Il y a eu une époque où Karagiannis (un des grands producteurs de l'époque, avec Finos) a fait au cinéma autant de mal que la dictature au pays. Son slogan favori étant « aux mêmes décors les mêmes billets », et il y a entraîné Finos Film, qui perdait des salles. Quand l'un sortait un film avec Voutsas, l'autre devrait en sortir un avec Vlachopoulou, et ainsi de suite. Le cinéma s'est transformé en boutique de tailleur. D'autre part, il y avait un sérieux problème de sujets. Chaque année, on appelait le même public pour lui dire les mêmes choses. Tous les films étaient identiques.

Toutefois, il y a certains films populaires, sortis des studios, qui ont quelque chose de particulier ; des acteurs comme Veggos, Voutsas, Vougiouklaki que le public grec a aimés…
Certainement. Mais ces films sont très rares par rapport au reste. Parmi les 100 films, il y en avait quelques-uns qui étaient bons. Les vieux films qu'on regarde aujourd'hui avec Vassiliadou, Logothetidis, etc avaient une fraîcheur. Par exemple, Qu'as-tu fait pendant la guerre, Thanassis ? était un bon film. J'y ai été chargé de la photographie. Mais, il s'agissait d'une production indépendante où l'on comptait beaucoup sur le nom de Veggos, qui était alors à son firmament.

Croyez-vous à l'existence d'une Lumière grecque ?
Non, plus maintenant. J'aime ce vers de Ritsos qui dit : « Le chemin se perd dans la lumière et l'ombre de l'enclos est du fer ». Cette lumière a disparue après les années '70. La pollution, le ciment, les reflets des vitres… Même dans la province. Les maisons aujourd'hui sont plus brillantes, ont plus de reflets. La tuile a disparu. J'ai un livre avec des photos noir et blanc de Papaioannou. Ce sont des photos de villages grecs. Aujourd'hui, même si on allait dans des villages, on ne pourrait plus faire de telles photos. Les surfaces sont lisses, droites. D'autre part, qu'est-ce qui est vraiment grec aujourd'hui. J'ai regardé l'Eurovision hier. Hormis les Croates, tous singeaient l'anglais. Tout est nivelé.

Et une lumière caractéristique dans les films que vous avez tournés ? Est-ce qu'il y a un style Arvanitis ?
Je ne peux pas le savoir ! Le 26 juin sort un des films sur lesquels j'ai travaillé (Process). La photo, l'image dans ce film n'a rien à voir avec celles de mes précédents films. Elle est dure, grise, grave. On ne peut pas dire que c'est Arvanitis qui a fait ce film. Impossible. Mais le film nécessitait ce type de photo. La photo ne doit pas apparaître au premier plan. Elle doit se mettre un peu en arrière. Le spectateur quitte la salle et une fois sorti, les images du film qui l'a touché, lui reviennent… J'essaie chaque fois de faire quelque chose de différent, de comprendre le scénario, le réalisateur. Parfois je réussis. Parfois non.

Vous n'avez pas étudié la photographie. Vous avez tout appris sur le terrain. Pour créer vos images, où est-ce que vous puisez vos idées ? dans des livres, des théories, les musées, en suivant votre instinct ?
J'ai appris et je continue à apprendre plein de choses par la peinture. Au début je ne doutais de rien et je n'avais pas le temps d'étudier. Mais il y a quelque chose qui m'a marqué pendant mon adolescence. Je viens d'un village, perché dans la montagne, 800 m. au-dessus de Sperchiada Lamias. Quand j'avais 16-17 ans, la vue du crépuscule, de cette lumière fondante, me faisait pleurer. Je ne sais pas si c'était l'adolescence qui était à la base de cette réaction ou bien autre chose. Mais à un certain moment j'ai compris que cette lumière qui fondait me brisait le cœur. Avait un impact énorme sur moi. C'est ainsi que j'ai commencé à observer les gens et comment ceux-ci réagissaient sous une certaine lumière. Je voyais un homme qui était éclairé en contre jour et je me demandais à quoi il pouvait bien penser. Et j'imaginais comment je pouvais l'éclairer… La lumière que je filme, notamment dans les films d'Angelopoulos ou ceux tournés en Grèce, est une lumière cachée profondément en moi-même. Quant nous sommes allés filmer aux Zagorochoria, j'y ai retrouvé l'ambiance et les personnages de mon enfance. J'ai compris qu'il ne fallait pas intervenir, qu'il ne fallait rien changer. Tout était déjà là. La pierre, la douleur, la misère, la lumière que reflétaient les cartons posés sur les portes… Il fallait juste laisser parler cette lumière, qui torturait les personnes. Quelqu'un peut se demander : Mais n'a-t-il pas connu des périodes ensoleillées dans sa vie ? Certainement. Mais je n'en garde aucun souvenir. Mon enfance était noire.

Yorgos Arvanitis sur le plateau de tournage avec Jeremy Irons.

En effet, vos images sont remarquables par la qualité de la lumière sur les paysages que vous filmez, mais est-ce qu'il y a des visages que vous aimeriez éclairer ?
Parlons plutôt des personnages, des caractères, que des visages. Un top-modèle est photogénique. Mais ma grand-mère aussi, qui est sillonnée de rides, peut être photogénique, parce qu'elle a un visage très intéressant. On ne peut pas dire d'un acteur qu'il est photogénique ou non. Tout dépend du personnage qu'il interprète. Le reste, c'est pour la publicité et les affiches. De toute façon, on peut détruire un visage sublime en l'éclairant mal et, vice versa, magnifier un visage ingrat, en l'éclairant bien.

Est-ce qu'on peut dire qu'il y a des tendances ou des modes esthétiques selon l'époque ? Y a-t-il quelque chose qui marque la photographie du cinéma d'aujourd'hui par rapport à celui de la décennie précédente, par exemple ?
Aujourd'hui l'image est numérique. Les gens sont liés avec ce type d'image. Si tu demandes à mes enfants, à un jeune, quelle image il préfère, il répondra l'électronique, l'image digitale. D'autre part, le public s'est tourné vers les DVD, où la photo est brillante, lisse. Avant, on pouvait voir des imperfections dans les films. Il y a certainement des différences selon les supports, mais la lumière est partout pareille, qu'elle soit enregistrée sur une pellicule ou sur une image numérique. Chaque méthode a ses propres règles. C'est d'abord la personnalité du photographe qui fait l'image. Cela dit il peut avoir des sensibilités selon les pays. Par exemple, la photo du cinéma italien a été et continue d'être une des plus intéressantes de tout le cinéma européen. Celle du cinéma anglais aussi. En revanche, la photo en France est "comme il faut".

A cause de l'influence de la publicité ?
Cette influence existe partout dans le monde. D'autre part, on nous a imposé le point de vue américain. Tout le monde est sportif, bien bâti, les femmes sont sublimes, la famille américaine parfaite. Mais la réalité n'est pas toujours flamboyante. Voyez dans Américan Beauty... Ici, en France, c'est plutôt "Yves Saint Laurent". La technique est un emballage exquis.

Est-ce que ce progrès vous fait peur?
Non, le cinéma ne va pas mourir. Mais il sera l'équivalent de l'opéra aujourd'hui. Les gens préfèrent louer un DVD qu'aller dans la salle. C'est beaucoup plus facile.

On dit que le numérique offre une liberté absolue au photographe. Qu'il le laisse libre de s'occuper exclusivement de son plan, sans avoir à se soucier des machines qui l'enregistreront.
Aujourd'hui, même le simple appareil photo est automatique. Auparavant, il fallait un certain temps pour voir, étudier le sujet, la lumière, l'angle, mesurer et faire la photo. Et cette photo était parfaite et unique. De nos jours, on prend une multitude de photos et il y en a une qui est bien. Mais, c'est plutôt une question de chance. Et ça ne fait pas de vous un photographe. Photographe était celui qui connaissait l'appareil, qui savait le régler. Et surtout, qui savait voir. C'est ça qui fait la différence.

Des projets pour l'avenir ?
Tant que j'ai du travail, je continuerai à tourner. Après, si je le peux, je ferai des choses qui me plaisent personnellement et que je n'ai pas eu l'occasion de faire jusqu'ici. Peut-être aussi un livre contenant les photos les plus intéressantes de mes films. Il y aurait des commentaires sur chaque photo, avec l'histoire, pourquoi elle a été prise ainsi, en utilisant la peinture pour les analyser... On verra.

Propos recueillis par
Athanassios Evanghelou et Elsa Papageorgiou
Chatou, France
mai 2004

Yorgos Arvanitis, Filmographie

Ses dernières collaborations :

2004 THE GRATE EXTASY de Tomas Clay
2003 L’ENFANT ENDORMI de Yasmine Kassari avec Rachida Brakni
2003 BRIDES de Pantelis Voulgaris
2003 PROCESS de CS Leigh avec Béatrice Dalle, Guillaume Depardieu
2003 ANATOMIE DE L’ENFER de Catherine Breillat
2002 JE SUIS LAS DE TUER TES AMANTS de Nikos Panayotopoulos
2002 KEDMA de Amos Gitai
2002 LA DERNIERRE LETTRE de Frederick Wiseman
2001 LA BOITE MAGIQUE de Ridha Behi avec Marianne Basler.
2001 APRES LA TEMPETE de Joëlle van Effenterre
2001 LES AMANTS DU NIL de Eric Heumann avec Emma De Caunes, Eric Caravaca.
2000 L'ILE BLEU de Nadine Trintignan avec Pierre Arditi, Anouk Aimé
2000 A MA SOEUR de Catherine Breillat
1999 LIBERTE OLERON de Bruno Podalydes avec Denis Podalydes
1999 SIGNS AND WONDERS de Jonathan Nossiter avec Charlotte Rampling, Stellan Skarsgard
1998 INNOCENT de Costas Natsis avec Jacques Bonnaffé, Elisabeth Depardieu, Jean-Pierre Léaud
1998 ROMANCE de Catherine Breillat
1997 LE TRAIN DE VIE de Radu Mihaileanu avec Lionel Abelanski, Rufus, Marie-José Nat.

Ses distinctions

1997 L'ÉTERNITÉ ET UN JOUR de Théo Angelopoulos avec Bruno Ganz, Isabelle Renault.
PALME D'OR - CANNES '98
Nomination à "Camerimage"- Best Cinematography
1994 LE REGARD D'ULYSSE de Théo Angelopoulos
avec Harvey Keitel, Erland Josephson
Nomination to "Camerimage"- Best Cinematography
1994 FARAW de Abdoulaye Ascofaré
Prix de la Photographie au festival de Namur
1993 IL SOGNO DE LA FARFALLA de Marco Bellochio avec Bibi Anderson
Prix de la Photographie au Granado Brasil Film Festival
1989 AUSTRALIA de Jean-Jacques Adrien
avec Fanny Ardan, Jeremy Irons.
Prix de la Photographie
- Festival de Venise
- Festival International de Flandre
1988 SOUS L' OMBRE DE LA PEUR de Yorgos Caripidis
Prix de la Photographie au Festival de Thessalonique
1988 PAYSAGE DANS LE BROUILLARD de Théo Angelopoulos
Prix de la Photographie au Festival de Chicago
Nomination au "Felix" 89
1987 DOXOBUS de Fotos Lambrinos
Prix de la Photographie au Festival de Thessalonique
1985 UNE LONGUE ABSENCE de Stavros Tsiolis
Prix de la Photographie au Festival de Thessalonique
1979 MEGALEXANDROS de Théo Angelopoulos
Prix de la Photographie au Festival de Thessalonique
1973 LE VOYAGE DES COMEDIENS de Théo Angelopoulos
Prix de la Photographie au Festival de Thessalonique
1971 LES JOURS DE 36 de Théo Angelopoulos
Prix de la Photographie au Festival de Thessalonique
1970 LA RECONSTITUTION de Théo Angelopoulos
Prix de la Photographie au Festival de Thessalonique

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